J'ai froid ! J'ai toujours froid. Si froid !
Même le soleil ne me réchauffe pas ! Même un radiateur ne me réchauffe plus !
J'ai froid à l'âme, froid aux entrailles, froid aux sentiments. J'ai froid à ma vie !
Je ne sens plus mes pieds, je ne sens plus mon coeur.
Je ne sais plus ni les jours, ni les heures, ni les mois.
Le temps qui passe me fait passer le temps.
Je sais les saisons grâce aux papillons, aux flocons, aux feuilles mortes, aux sourires des gens !
L'hiver les gens ne sourient plus. Ils courent. Ils se hâtent. Ils m'éffleurent.
Je voudrais qu'ils me voient, qu'ils s'arrêtent, qu'il me regardent, qu'ils me touchent.
Je suis transparente. Diaphane. Inexistante.
Avec l'hiver, pousse la pitié et les gens pressés me donnent quelques subsides. Même des billets parfois !
Oh, ils ne s'arrêtent pas, ne me regardent pas. Ils me frôlent et même me bousculent.
Ca, c'est l'hiver !
Mais leur obole ne me réchauffe pas. J'ai froid !
L'été, la pitié repart. Les gens partent en vacances et emmènent leur pitié avec eux.
J'ai toujours froid, même quand les autres semblent avoir chaud.
Je suis une croûte vide, une plaie purulente. Je suis pourrie.
Ma douleur ne trouve plus d'écho. Je ne hurle pas mon désespoir.
Je ne souris plus ! Je me tais !
Avant, je souriais. Je riais même !
Avant, j'étais quelqu'une, pas quelconque.
Je sentais bon, j'avais une âme, j'étais une femme.
Les gens me regardaient, les hommes surtout !
Avant, j'avais un prénom, un nom, un âge, une couleur.
Mais aujourd'hui, j'ai froid !
Je n'ai plus rien. Je ne suis plus rien.
Je suis engluée dans ma non vie, dans ma petite mort.
D'ailleurs, je n'attends même pas la mort ! Je n'attends rien.
J'ai froid et puis, j'ai peur.
Je suis un fantôme visible mais ignoré.
Je suis une entité palpable mais qui vit cachée, recluse, refluée, refoulée.
Un spectre, une ombre, une tâche sans couleur.
Je ne suis presque plus là et pourtant je vis encore.
En ce moment, c'est le printemps. Je ne sais pas quel mois mais je connais l'odeur du printemps.
Les gens n'ont plus d'écharpe mais ils ont des sourires.
Les filles ont des jupes ou des robes que les messieurs pourchassent.
Il n'y a plus de billets dans ma soucoupe, juste quelques pièces qui tintent d'un tintement printanier.
Les feuilles sont revenues, les enfants aussi et leurs parents, si droits, me regardent de travers.
Dans mes veines coulent des flots de souffrance.
J'ai froid. Si froid ! J'implore le vent pour qu'il m'emporte mais je suis lourde et lestée de larmes.
Je reste terrassée, enracinée.
Grosse poussière puante.
J'ai froid !
Pupucekib
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Style : Nouvelle | Par pupucekib | Voir tous ses textes | Visite : 589
Coup de cœur : 11 / Technique : 7
Commentaires :
pseudo : nage
Magnifique.quand je faisais la distribution de repas la nuit il y avait un homme (bac +4)qui avait un peut le langage de ton texte.il disait que j'été sa lumiere la sien a fini de c' éteindre seul dans la rue.Une grand cdc pour le texte et le sujet.
pseudo : nani
C'est glacial, mais c'est tellement vrai, j'ai peur de dire que c'est beau car la beauté ne réchauffe pas...
pseudo : pupucekib
C'est un reportage visionné l'autre jour qui m'a donné l'idée de ce texte, dit par une femme ! Parce que je pense que le froid vient aussi et peut-être même surtout de l'intérieur.... Merci pour vos commentaires Nage et Nani !
pseudo : BAMBE
Un texte puissant qui nous fait grelotter avec elle par le truchement d'une belle écriture. CDCoeur
pseudo : pupucekib
Merci Bambe ! C'est tellement d'actualité !
pseudo : Karoloth
On ressort de cette lecture tout retourné et touché au coeur. Honteux aussi, de notre impuissance...
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