- Ici la Terre, répondez Telstar !
Calvin et Wolff s’observaient mutuellement.
Le premier des deux qui perdrait l’autre de vue, perdrait du même coup la partie.
Ce n’était pas un jeu.
La partie, c’était celle de la vie !
Au moindre geste, l’autre réagissait en se méfiant, toujours sur ses gardes, prêt à bondir.
Au centre du module, éventré, gisait le petit paquet transparent renfermant les croquettes lyophilisées, 11 ou 12 pièces tout au plus, qui suscitaient leur centre d’intérêt.
Rien ne pouvait les séparer pourtant.
Rien n’aurait pu les séparer !
Calvin et Wolff étaient les meilleurs amis du monde.
Rien, même le danger de la mort, n’aurait pu les séparer !
Rien, sauf la FAIM !
Un stupide accident, une simple explosion dans les propulseurs et le module s’était emballé.
Telstar 090 avait quitté son orbite autour de Mars et déviait à présent dans l’infini de l’espace.
Les reflets titanesques d’une prodigieuse déflagration avaient miroité sur la baie vitrée du poste de commandement et tout s’était mis à tourner. Les listings s’étaient éparpillés partout, les objets non fixés avaient roulé sous les consoles, les sièges s’étaient renversés, Calvin s’était fracassé la tête contre le sas et Wolff avait glissé sous le panneau de commandes.
Tout s’était déréglé. Le moteur auxiliaire s’était mis en marche pour assurer l’apesanteur artificielle et l’approvisionnement en air, et du même coup, les portes automatiques des sas s’étaient anormalement refermées sur l’astronaute Calvin Root et son chien Wolff.
- Ici la Terre, répondez Telstar ! inlassablement, les haut-parleurs crachaient le message de la Terre.
Il n’y avait plus rien à faire, l'émetteur radio était out. Calvin avait bien dû essayer un bon million de fois, il n’avait pas pu entrer en contact avec la Base.
Sous le regard inquiet de l’homme, Wolff rampa lentement vers le distributeur, et une fois encore, il poussa du museau sur la tige métallique qui faisait se remplir son écuelle.
Rien ne tomba !
L’appareil était vide.
L’homme fit passer dans sa main gauche blessée le bistouri tendu qu’il tenait dans sa main droite et il attrapa la poche de survie.
Une poche d’eau.
Chaque pièce du module comprenait une armoire de survie renfermant une valisette avec une trousse de secours, deux rations de nourriture et une poche d’eau d’une capacité de trois litres.
Calvin but une toute petite gorgée.
Quatre jours.
Quatre jours qu’ils survivaient...
Wolff grogna nerveusement et fit pour s’avancer, mais l’homme le repoussa d’un geste brusque et menaçant du bistouri pointé dans sa direction.
Il n’était plus question de partager. C’était lui ou le chien !
L’animal se ravisa et il se lécha le flanc droit, là où une belle croûte de sang séché s’était formée, là où le bistouri avait frappé la première fois, il y avait deux jours...
…
Quand finalement le module s’était redressé, Wolff s’était approché de l’astronaute pour le lécher amicalement.
- Ici la Terre, répondez Telstar ! Wolff avait aboyé pour avertir son compagnon, mais celui-ci était toujours inconscient.
- Ici la Terre, répondez Telstar ! Le chien avait sauté sur le tableau de bord, près du micro, mais il n’avait rien pu faire, qu’est-ce qu’un chien, même un chien aussi intelligent que lui, pouvait faire face à un micro que seule une main humaine, une main avec des doigts, pouvait actionner ?
- Ici la Terre, répondez Telstar !
Wolff avait encore hurlé à la mort, mais comme l’homme ne semblait toujours pas reprendre connaissance, il s’était couché à ses côtés en gémissant et il s’était finalement endormi.
Quand le chien s’était réveillé, Calvin gisait toujours contre la porte du sas, le front en sang, il avait encore poussé l’homme d’un ou deux coups de museau, puis il s’était dirigé vers le bac automatique de distribution.
Savamment, il avait activé la tige métallique qui dosait la quantité de croquettes lyophilisées, mais rien n’était tombé dans son écuelle; s’il avait su lire, le chien aurait vu que Calvin avait écrit sur le mémo glacé mural: réparer le distributeur de Wolff.
Alors, il s’était mis à gratter à la porte. Energiquement, désespérément, avec vivacité, avec rage, espérant qu’elle se décide à s’ouvrir, désirant atteindre l’autre pièce du module, celle-là que l’homme appelait la cuisine, cette pièce où étaient stockées des dizaines de boîtes de croquettes, où une fontaine d’eau fraîche coulait en permanence. Mais rien n’y fit, Wolff n’était qu’un chien et un chien ne pouvait pas actionner les taquets de sécurités qui s’étaient enclenchés suite à l’explosion.
Calvin ne reprit connaissance que le lendemain.
Il avait tenté d’appeler la Terre, de signaler leur présence, de leur expliquer, mais la radio répétait sans cesse - Ici la Terre, répondez Telstar !, ce qui signifiait que l’antenne émettrice était hors d’usage !
Plus rien ne fonctionnait !
Calvin avait essayé d’ouvrir les sas, mais tout était bloqué, il avait interrogé l’ordinateur central, mais rien n’avait fonctionné !
L’homme et le chien étaient prisonniers du poste de commandes du module Telstar 090.
Tandis que Calvin lui avait expliqué ce qui se passait, Wolff l’avait écouté patiemment, puis il avait aboyé en lui indiquant son écuelle vide. L’astronaute avait alors décroché la valisette de survie hors de son alvéole de sécurité et...
Pas de chance, celle-ci ne contenait pas les deux rations de survie habituelles ! Un oubli, un manquement, un défaut, peu importait, ce qui comptait, et cela énormément, c’est que les deux rations prévues n’y étaient pas !
Calvin avait réfléchi l’espace d’un instant, se rendant compte que lui aussi il avait énormément faim, et puis, il s’était agenouillé près du distributeur automatique et il y avait glissé la main.
De toutes ses forces, il avait tiré sur la tige métallique et il était parvenu à débloquer l’appareil. L’écuelle de Wolff se remplit d’une traite.
Tandis que le chien engouffrait sa pitance, l’homme avait rempli un sac de plastique transparent avec le restant des croquettes. Tout au plus un demi sac en fait, qu’il avait noué et posé dans un coin.
Puis, il avait goûté une croquette.
Sous le regard étonné de Wolff, il avait attrapé une croquette brune et l’avait mangée. C’était sec, infecte, désagréable, mais c’était mieux que rien, c’était déjà ça !
Il en avait mangé une seconde, une troisième et puis d’autres encore, qu’il arrosa d’un peu d’eau tiède.
Wolff avait sagement baissé les yeux, mais à cet instant précis, il avait compris que l’enfer avait déjà commencé !
Plus tard, le chien réclama encore de la nourriture et seulement alors Calvin réalisa qu’il fallait se rationner.
Se rationner ! Si il y avait une chose difficile à essayer de faire comprendre à un animal, c’était bien cela: se rationner !
Tout espoir n’était pas perdu, la Terre allait probablement leur envoyer du secours, c’était une question de jours, 7, 8 tout au plus, alors il leur fallait se rationner pour ne pas mourir de faim ni de soif.
Il donna deux croquettes supplémentaires au chien qui les avala avant de rouspéter.
Calvin l’avait attiré près de lui et il l’avait flatté de caresses pour l’apaiser.
L’homme était gentil avec lui, mais Wolff avait faim. Calvin était son ami depuis toujours, mais il avait si faim.
Et toutes ces délicieuses croquettes là, tout près.
Calvin le caressait.
Les caresses de ses doigts.
Ces doigts-là qui volaient ses croquettes !
Des caresses presque insupportables !
Des doigts qui caressent, des doigts, de bons doigts, de succulents doigts !
Wolff s’était retourné d’un bond et il avait mordu la main gauche de Calvin.
Mordu à mort, mordu pour manger, mordu pour se nourrir !
Calvin avait sursauté, il avait repoussé le chien avec violence et il lui avait ordonné d’arrêter, mais le chien avait continué à mordre. A mordre encore, de plus en plus en fort.
Le sang ! Le goût – ce goût oublié depuis des générations – le goût du sang dans sa gueule le rendit fou !
Calvin lui décocha un fulgurant coup de pied dans la gueule, qui l’envoya valser contre la console du tableau de commandes.
L’homme avait crié, il avait hurlé, il avait encore voulu frapper le chien, mais celui-ci avait riposté en grognant plus fort encore et en montrant ses crocs ensanglantés...
Et puis, Calvin s’était armé du bistouri qu’il avait découvert dans la boîte de secours.
Il s’était bandé la main et s’était adossé contre le sas, le sac de croquettes sous ses reins, en tenant Wolff à l’oeil.
Le troisième jour, Wolff profita du sommeil de l’homme pour s’approprier le fameux sac de croquettes lyophilisées.
Il s’était avancé prudemment, sans bruit, sans hâte et il avait contourné Calvin en longeant les parois murales. Il avait progressé par petits pas prudents, surveillant le sommeil de l’homme, surveillant le moindre battement de cils, puis, il avait, à l'image du prédateur qu'il était redevenu par atavisme -sauté sur le sac qui dépassait sur le côté.
La douleur fut atroce.
Wolff avait essayé de happer quelque chose qui lui tailladait le flanc, mais la lame avait bien vite esquissé son coup de gueule maladroit et le sang avait pissé sur le sol.
Calvin avait encore crié des menaces, il avait fait mine d’être maître de la situation, mais le chien lui avait fait face et finalement, ils s’étaient assis tous les deux, chacun dans son coin, le sachet transparent de croquettes lyophilisées entre eux, là, juste au centre, à moitié déchiré...
Cela faisait près de 24 heures qu’ils guettaient, 24 heures qu’ils attendaient que l’autre craque et finisse par commettre l’erreur qui lui serait fatale ...
- Ici la Terre, répondez Telstar ! la Terre n’avait toujours pas changé de répertoire, la radio diffusait toujours le même message, mais plus fréquemment. Sans perdre Wolff de vue, Calvin écoutait attentivement, car sur terre, les secours devaient probablement s’organiser.
Le chien, le meilleur ami de l’homme, l’homme, le meilleur ami du chien, l’homme et le chien, les meilleurs amis du monde, l’homme et le chien, à présent des ennemis jusqu’à la mort !
Soudain, le ventre de l’homme cria. Une série de borborygmes sourds émanèrent du fond de ses entrailles, lui rappelant qu’il mourait de faim.
Wolff se redressa et ses oreilles frémirent fébrilement.
- Tu vois mon vieux Wolff, nous en sommes au même point tout les deux ! lança l’astronaute. Le chien remua la queue, la voix forte de son maître réveilla en lui ses instincts sociaux et il dodelina de la tête.
Lentement, dans un mouvement presque imperceptible, Calvin avait décollé son dos du sas et il avait glissé lentement en direction du sachet en tirant sur ses jambes.
- T’as faim aussi, hein mon brave ? Calvin avait compris que parler au chien suffisait pour détourner son attention. Il s’approcha davantage, la bête l’observait toujours, mais ne remarquait rien.
- T’as faim toi aussi, hein Wolff ? j’ai bien une petite idée pour nous sortir de là, mais je ne pense pas que tu seras d’accord... Presque au ralenti, l’homme fit passer le bistouri dans sa main droite, prête à frapper.
Plus que quelques centimètres, et il atteindrait bientôt le sachet !
Il tira encore une fois sur ses jambes en se faisant glisser sur les fesses.
- Là, tu vois on est toujours copains toi et moi, hein Wolff ?
A la prochaine glissade, il serait à portée des croquettes.
Wolff avait la langue pendante, il haletait de soif, brusquement, vif comme l’éclair, il se redressa et menaça l’homme en grognant.
Calvin avait sursauté, mais au lieu de reculer, il se jeta sur le sachet et le saisit de sa main libre, le chien bondit en avant pour le mordre mais l’homme balaya l’horizon de gestes rapides pour se protéger derrière le bistouri tendu.
Wolff hésita. La profonde blessure sur son flanc lui avait laissé un très mauvais souvenir, et cette lame tranchante que l’homme brandissait vers lui, l’effrayait énormément. De rage, il aboya à nouveau en montrant les dents.
Calvin se recala contre le sas et de ses doigts blessés, il prit une croquette hors du sachet.
Le chien clabauda encore en piétinant sur place.
L’homme mangea la croquette. Il en prit une deuxième sous l’oeil courroucé du chien. Ce chien qui avait toujours été un bon animal, un fidèle compagnon. Il avala encore une autre croquette et eut pitié de la bête.
- Allez Wolff, tiens attrape ça, ça te fera du bien ! il lui en lança une qui disparut aussitôt dans la gueule de la bête affamée. Calvin mangea encore une croquette, Wolff jappa pour en réclamer une autre.
Mais cela suffisait, il fallait en garder pour plus tard, surtout ne pas tout consommer tout de suite, ne pas gaspiller.
Il grappilla la dernière poignée de croquettes qu’il fourra dans la poche de sa salopette, soudain, le chien fonça sur lui.
Calvin n’eut pas le temps de riposter, l’animal avait été beaucoup trop rapide, puissamment, il lui mordit la cuisse en le faisant rouler par terre, les croquettes lyophilisées s’éparpillèrent et Wolff, fou furieux, jaillit dessus.
Sans plus aucune pitié, le bras armé du bistouri s’abattit sur le chien qui hurla à la mort, mais qui ne perdit pas une autre croquette qu’il engouffra d’une traite. Calvin se redressa légèrement et, dans une peur panique, il frappa à nouveau, Wolff repoussa l’attaque d’un coup de crocs et s’offrit aussi vite une croquette supplémentaire.
Sous le regard impuissant de l’homme qui ne parvenait pas à le maîtriser, le chien engloutissait toutes leurs réserves sans réfléchir. Plus fort encore, avec désespoir, Calvin enfonça une fois de plus le bistouri dans l’échine du chien.
Comme par miracle, Wolff s’enfuit sous la console en emportant une croquette.
La dernière !
Ce satané chien avait tout mangé !
Ce stupide cabot avait, en quelques secondes à peine, épuisé toutes leurs réserves.
Calvin voulu se lever, mais la douleur était insupportable: d’une plaie profonde à sa cuisse, du sang sourdait.
Wolff l’avait eu et il était salement touché.
Tandis que l’animal léchait ses blessures, Calvin désinfecta ses morsures; fort heureusement, il avait conservé la boîte de secours et la poche d’eau potable à portée de mains.
Calvin but une longue gorgée sous le regard jaloux de Wolff qui l’épiait.
Tout était fini à présent, sans vivres, il ne tiendrait plus très longtemps, Calvin eut soudain envie de pleurer, il se détourna et regarda avec nostalgie au travers la vitre de sécurité du sas, dans l’autre pièce, là où assez de nourriture pour 1 an, était stockée.
Tout cela à cause de ce stupide chien !
Wolff dormait. Du moins, c’était l’impression qu’il donnait. Les poils humides et hirsutes de son dos meurtris lui donnaient une bien pauvre allure, mais Calvin se méfia, le combat n’était pas terminé, les doigts de sa main gauche à moitié dévorés en étaient la preuve et lui dictaient de rester prudent, quand le chien aurait réellement trop faim, il s’attaquerait à lui et le dévorait sans aucun doute !
Puis, ça avait été comme une terrible révélation. Depuis plus d’une heure, la radio était restée muette ! Les batteries ! Les batteries s’épuisaient !
Déjà, les lampes semblaient avoir faibli, la radio s’était tue et bientôt, les moteurs auxiliaires stopperaient. L’écho radar finirait par ne plus émettre, et aucune mission de secours ne pourrait jamais plus retrouver Telstar 090 !
Tout était fini ! A moins qu’une fusée soit déjà en route ?
Calvin s’installa un peu plus confortablement et il tâcha de dormir, de récupérer un peu et ne plus penser à rien ...
Wolff le guetta sournoisement, son instinct de prédateur lui conseillait d’attendre encore... Il bavait, il avait soif et faim !
Calvin ferma les yeux, il savait qu’à présent, s’il voulait tenir un jour ou deux de plus, il lui faudrait tuer le chien. C’était lui ou Wolff, sans rémission, sans autre alternative.
...
Wolff allait très mal !
Le plafonnier s’était éteint, seules les lampes de secours éclairaient encore la capsule en miroitant les yeux injectés de sang de l’animal qui était toujours étendu sous la console.
Subrepticement, Calvin resserra la main sur le bistouri, le chien, acculé à la mort, à la soif et à la faim, allait attaquer une ultime fois.
Calvin s’abreuva une fois encore et il spécula quant au temps que mettraient les secours pour arriver, Wolff regroupa ses pattes arrières sous lui et se mit en boule, il allait bondir, il était prêt, dès que l’homme fermerait à nouveau les yeux, il s’élancerait sur lui, le saisirait à la gorge, lui arracherait la glotte et ensuite, il dévorerait sur place !
12 heures ! S'ils étaient en chemin, les secours mettraient 12 heures pour atteindre la position initiale de Telstar 090, 12 heures auxquelles il fallait encore ajouter le temps de les retrouver, le temps nécessaire pour qu’ils parcourent la distance que la capsule avait franchi durant son vol en perdition.
Wolff se mit en boule, ses muscles se contractèrent et-
Les lampes de sécurité pâlirent brusquement, plongeant la capsule dans une demi pénombre qui surprit Calvin et qui l’angoissa.
A quelques mètres à peine, les yeux hagards et maladifs de Wolff brillaient dans l’obscurité.
A présent, l’air allait se raréfier à toute vitesse, soit deux fois trop vite. Calvin en était conscient, Wolff respirait et consommait de l’oxygène, beaucoup trop d’oxygène !
Le chien plongea en avant, tout crocs dehors, mais dans une lumière de lucidité extraordinaire, Calvin eut juste le temps d’esquiver l’attaque, de se jeter de côté et de frapper dans le vide, à l’aveuglette.
Le bistouri fendit la nuit noire et vint brutalement s’enfoncer dans le corps contracté de l’animal, aussi vite, Calvin frappa une seconde fois avec rage, volonté et détermination. Une troisième et puis encore, encore et encore, le chien sursauta, virevolta, mais il ne put atteindre l’homme, mourant un peu plus à chaque coup de bistouri.
Une violente odeur cuivrée se répandit, une odeur de sang chaud, une odeur aigre.
Calvin frappa jusqu’à épuisement.
Wolff ne bougeait plus, il était mort, Calvin s’était allongé sur sa dépouille encore chaude et tentait de retrouver son souffle.
Tout était fini, il lui suffisait de rester tranquille, de conserver son calme et d’économiser au maximum sa réserve d’eau, les secours n’allaient probablement plus tarder...
...
La faim décupla le temps qui s’égrainait lentement. Calvin avait très faim, il mourrait de faim.
...
Le lendemain, ou était-ce le surlendemain ? il n’avait plus aucune notion du temps, totalement déboussolé par les douleurs amères qui lui torturaient l’estomac, Calvin se décida à manger.
Dans le fond, pensa-t-il, c’est ce que Wolff aurait fait.
Il ne fallait pas se laisser aller à mourir ainsi, stupidement, alors qu’un formidable garde-manger gisait au sol, près de lui.
Du chien, du chien, cela devait être comestible !
Il tâtonna au hasard et détecta la tête de Wolff, ses doigts fébriles suivirent les courbes de l’échine de l’animal et touchèrent les flancs, puis les cuisses.
Une cuisse de chien, cela devait ressembler à du lapin ...
Calvin leva le bistouri, prêt à tout, la tête folle, la tête vide et à la fois remplie d’images tronquées, il contracta les muscles de son bras et puis-
L’homme se ravisa, comprenant qu’il devenait complètement fou, totalement arriéré.
De sa main gauche, il fouilla la poche de sa salopette et-
- Chance ! Quelle chance ! ses doigts blessés et gonflés rencontrèrent une croquette, une croquette rescapée, une croquette qui s’était glissée dans sa poche juste avant que le chien ne l’attaque !
Tout doucement, il la croqua, en suça la moitié et apprécia longuement ce moment savoureux...
C’était bon !
Un véritable délice !
La seconde moitié fut tout autant un régal.
Une croquette ! Un repas ! Calvin revivait bien que ses bronches sifflaient depuis un bon moment, à force de respirer toujours le même air, le même air vicié.
...
Dormir...
Dormir, s’allonger, fermer les yeux et dormir, ... partir...
Calvin divaguait, il était mal, très mal, tout s’était mis à tourner, à tourner très vite et inlassablement. La mort arrivait à grands pas...
...
Etouffant dans une série de râles rachitiques, Calvin crut entendre s’ouvrir les portes du paradis. Les portes métalliques de l'après la mort. L’odeur de Wolff envahissait ses bronches asséchées, était-ce l’odeur de la mort ? étaient-ce les derniers battements sourds de son coeur ?
Il expira une ultime fois, ses doigts crispés relâchèrent la fourrure de son fidèle compagnon.
A cet instant précis, les sas de la fusée de secours et de Telstar 090 fusionnèrent ...L'astronaute Calvin Root, à quelques minutes près, manqua cet événement presque miraculeux.
FIN
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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 577
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Commentaires :
pseudo : VIVAL33
C'est une des raisons pour laquelle je n'emmène jamais mon chien dans l'espace...
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