Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

La signature par muriel barkats

La signature

 

« Qu'il te soit donné autant que tout ce qu'il nous est offert ». Courbée devant cette stèle gravée, la petite fille animée par sa curiosité cherchait le nom du défunt. La tombe ne possédait rien d'autre que cette inscription à peine déchiffrable. Un amas de terre était sauvagement traversé par quelques brindilles abandonnées, détachées du temps. Les quelques cèdres au bord de l'océan pacifique paraissaient les seuls témoins de cette énigme. Trouver une tombe en se promenant était si surprenant que l'enfant cessa tout désir de poursuivre son chemin. Arina, sa mère, touchée intimement par l'attitude de son enfant, s'assit sur un caillou face à cette signature.

L'automne s'annonçait paisiblement sur le continent de l'été indien. Les parfums du pacifique mêlés aux bois de cèdres avaient un goût d'aventure pour Arina. C'est la danse d'un vent léger qui stimula un éternuement chez Lana, sa fille ; brisant le silence de la forêt. Le soleil n'était pas encore décidé à se coucher mais Arina s'orienta vers l'ouest afin d'anticiper sa venue. Son plaisir de se fondre dans la nature depuis sa petite enfance l'habite encore aujourd'hui. Partager ce plaisir avec sa fille aujourd'hui était exceptionnel.

Lana rompu l'absence de paroles devant ce mort invisible et questionna sa mère sans vraiment attendre les réponses.

- Tu crois qu'il y a plusieurs morts la dessous, où est-ce seulement une personne qui a été enterré ici ? Pourquoi elle est toute seule au milieu de la forêt ? Peut-être est-ce un animal qu'on a voulu isoler des humains ? Je ne vois pas de dessin, ni de prénom, ni date. La pierre est toute trouée, déchirée par les hivers. Dis maman, tu sais qui c'est qui dort là ?

Arina, installé sur le sol, le dos dressé sans appui, laissa sa tête se renverser en arrière pour inspirer longuement. Les yeux mi clos, déglutinant sa salive, Arina gardait le silence. Tout devenait précieux au fond d'elle. Il n'était pas question de mentir ni d'inventer une histoire. Lana devait avoir ses réponses et elle s'était promis de la conduire jusque là pour cette raison. Un blanc vide, pris possession des cellules d'Arina l'espace d'un temps qui lui parut l'éternité. C'est sa fille poussée par la vivacité du jeux qui la fit sortir du néant. Lana taquina sa mère en cherchant à s'assoire sur ses épaules. La mère et la fille instantanément complices dans la joie et le rire, roulèrent à terre pour une partie de chatouille.

- Alors maman, raconte-moi si tu sais qui habite dans le lit de la terre !

- Oui, chérie, je connais toute l'histoire. J'avais ton âge, 8 ans quand je suis venue exactement ici, au pied du grand cèdre. J'étais assise un peu plus loin, tu vois ce rocher au bord de la falaise...

- Viens on y va, on fait tout comme toi à 8 ans... allez, viens !

La mère et la fille s'installèrent sur le rocher, dominant l'océan avec une vue merveilleuse sur un îlot. Une colonie d'otarie se prélassait, comme ils le faisaient déjà il y a 39 ans. Les uns contre les autres, inertes au soleil. Les derniers arrivés, venaient se coller aux avants derniers et ainsi de suite, jusqu'au bord de l'eau. A la moindre vague, leurs queues se levaient au rythme d'une danse immobile et élégante malgré leur masse. Ce spectacle procurait un sourire chargé de souvenirs d'enfance dans les yeux brillants d'Arina.

- ... et après, qu'as-tu fais maman ?

- Je pouvais rester des journées entières à regarder ce paysage. Je ne pensais même pas. J'étais juste là avec tous ces éléments que tu vois à ton tour aujourd'hui. Parfois mon regard se perdait dans l'immensité des cieux. Le vent me chantait aux oreilles ou me caressait la peau, les cheveux. J'étais chez moi enveloppé de chaleur solaire. Un point noir très loin à l'horizon, attira soudain mon attention. Je ne pouvais plus le quitter. J'étais hypnotisée, aimantée. J'avais le sentiment de respirer avec lui, et plus je m'appliquais à respirer en attachant mon regard, plus la forme se rapprochait de moi.

- Tu avais peur ?

- Non, bien au contraire. J'avais soif de connaître cet inconnu. Ainsi, je ne sais combien de temps je suis restée en contact avec la forme, mais j'ai su qu'elle volait. Ensuite, j'ai saisi qu'un aigle m'observait tout comme moi. Peut-être vivait-il la même chose que moi...

- Un AIGLE ? S'écria Lana émerveillée par le récit de sa mère.

- Oui, un Aigle Royal, ma chérie, un vrai ! Sais-tu que si tu vois un aigle royal, c'est qu'il t'a déjà repéré depuis plusieurs centaines de mètres avant que toi tu ne l'ai vu ? En fait il accepte de se montrer à toi. C'est une loi de la nature que je n'oublierai jamais, surtout lorsqu'il a crié pour me le dire.

- Tu as compris son cri, tu parlais l'aigle à 8 ans ?

- J'étais reliée au même souffle de vie que lui et son cri ma aimé comme moi j'aimais me remplir du paysage pendant des heures.

- Mais, la tombe, je ne comprends toujours pas...

- L'Aigle est arrivé sur moi à une vitesse incroyable, droit entre mes yeux. j'ai eu l'impression qu'il allait me traverser de tout mon corps. Mon cœur s'emplissait d'une vie encore jamais connu. C'était indescriptible, tout de moi s'en souviens. L'aigle disparut comme un rêve qui s'achève et une plume s'était déposée au ralenti sur mes cuisses. Je frottais fortement mes yeux, reprenant possession de mon assise sur ce rocher et du parfum des cèdres. Je n'avais pas rêvé, je pris la plume entre mes doigt. Je la caressais comme un cadeau précieux, tu ne peux pas imaginer ma fille... Je n'était plus la même. Alors, j'ai eu l'idée de marquer cet instant de ma vie, comme une borne sur ma route. Je me suis mise à genoux pour lisser la terre devant cette pierre qui existait déjà. J'arrondissais le tertre en pensant à la liberté de cet aigle et me promettant de vivre comme lui sur terre. Avec sa plume j'ai délicatement effleuré la pierre comme une signature, un geste d'accomplissement à ma création et là...Cette phrase est apparue gravée sous mon geste : « Qu'il te soit donné autant que tout ce qu'il nous est offert ». J'ai juste pensé que l'Aigle Royal m'offrait une alliance avec sa propre vision pour marcher et communiquer entre les mondes.

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par muriel barkats | Voir tous ses textes | Visite : 1381

Coup de cœur : 12 / Technique : 8

Commentaires :