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Août 1950 par zuli3

Août 1950

9 août 1950. Jour de mon anniversaire. Je séjournais à cette époque dans la vieille maison de campagne de mes grands-parents en Bourgogne. Ceux-ci semblaient aussi usés que leur bicoque mais ils avaient cette sérénité qui me plaisait par-dessus tout. Ce matin là, je fus réveillé par une hirondelle qui, s’étant posée sur le rebord de ma fenêtre, m’indiquait par un chant mélodieux que l’aube ne tarderait pas à éclore. Etant un garçon de la ville, je n’étais pas habitué à un réveil aussi matinal et tentais tant bien que mal de me rendormir, malgré les piaillements incessants de mon persécuteur que je chassais peu de temps après. Dix heures sonnaient lorsque je descendis les escaliers et me dirigeais vers la cuisine pour prendre mon petit déjeuner. La maison était silencieuse. Seul le vent montrait signe de vie en faisant, par intervalle, frétiller chaque tuile de la vétuste demeure. Leurs propriétaires étaient peut-être encore en train de dormir, pensais-je. Je me beurrais quelques tartines et me fis un chocolat chaud avec un reste de cacao que je trouvais au fond d’un placard. Je finissais de me restaurer lorsque j’entendis la porte du vestibule s’ouvrir puis se refermer dans un claquement sonore. « Antoiiiiiiine ! » entendis-je précipitamment. J’accourus dans le vestibule et vis mes grands-parents qui semblaient cacher quelque chose derrière leur dos, mais je n’arrivais pas à distinguer quoi. « Joyeux anniversaire Antoine ! » fit ma mamie en avançant une superbe bicyclette à la couleur rouge étincelante. Je me rappelle de ce moment où, ému par une telle surprise, mes yeux ont commencé à se remplir de larmes, regard flou comme dans un bocal,  vision trouble de mes grands parents venus vers moi pour me serrer fort dans leurs bras.

 

Durant les jours qui suivirent, je ne cessais de parcourir la campagne sur la selle de mon nouveau vélo. Je me rappelle de cette sensation de plénitude. L’air frais du matin qui se faufilait entre mes cheveux bruns et faisait couler quelques larmes le long de mes joues roses et juvéniles. Je rentrais généralement sur les coups de midi pour le déjeuner puis repartais en excursion, chevauchant de plus belle ma bicyclette sous le regard satisfait de mes grands-parents. Jusqu’au jour où, à la nuit tombée, toujours pas rentré, ceux-ci ont commencé à s’inquiéter. De retour, je leur prétextais que je m’étais assoupis dans un champ de blé mais ils ne voulurent rien entendre et me défendirent dès lors de continuer mes virées. Abattu par cette décision, je m’en voulais à moi-même mais je n’avais pas dit mon dernier mot. Le lendemain, profitant de l’absence de mes grands-parents qui étaient partis au marché, je désobéis et partis dans la campagne ensoleillée du matin. La pluie de la veille avait fait ressortir toutes les délicieuses effluves que pouvaient contenir la vallée. Cependant, la route n’en était pas moins glissante et je manquais plusieurs fois de chuter. Pendant un certain temps, je parcouru les champs dorés à perte de vue qui semblaient peu à peu se fondre dans un brouillard naissant. Intrépide de nature, je me permis encore quelques minutes supplémentaires avant de repartir car il me fallait rentrer avant le retour de mes grands-parents au logis.

 

 Dix minutes plus tard, je n’y voyais plus rien. Un brouillard épais avait totalement envahi la campagne. Le soleil qui avait disparu sous la menace avait laissé place à un refroidissement mortifère et inhabituel pour la saison. Paniqué par l’ampleur de la situation, je pris soudain conscience de la gravité de ma désobéissance. Quel chemin fallait-il prendre ? Comment réagiraient mes grands-parents quand ils découvriraient que leur petit fils leur avait désobéi ? Me referaient-ils confiance après cela ? Et mes parents qui seraient les premiers informés, me laisseraient-ils passer de nouvelles vacances en leur compagnie ? Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête. Les larmes me montèrent aux yeux, j’éclatais en sanglot. Je bouillonnais intérieurement, me traitant de tous les noms qui existent. Oui, je regrettais mon geste car je savais que si j’étais resté à la maison, j’aurai été au chaud devant la cheminée à l’heure où je vous parle et non perdu je ne sais où dans la cambrousse.

 

Pensant qu’il valait mieux que je réagisse plutôt que de me lamenter sur mon sort, je décidais de continuer chemin tant bien que mal, titubant comme une marionnette dans la lourde masse laiteuse. Quelques mètres plus loin, une forme étrange se dessina devant moi. Une forme que je n’avais encore jamais remarquée durant mes longues excursions. En m’approchant, je vis qu’il s’agissait d’un arbre immense, tellement immense qu’on ne pouvait distinguer sa cime. Une idée me vint alors en tête : si je parvenais à l’escalader, peut être percevrai-je quelque chose au-delà du brouillard et arriverai-je à retrouver mon chemin. Je commençais alors mon ascension. Les branches craquaient sous mon poids d’enfant, craignant qu’au moindre mouvement celles-ci ne se brisent. Mon espoir grandissait au fur et à mesure de ma progression. Plus que quelques branches à gravir. La fatigue commençait à se faire sentir. J’y suis presque me dis-je. Trois branches seulement. Pourvu que j’y vois clair une fois là-haut. Deux branches. C’est mon seul espoir. La dernière branche. Crac ! Tout devint noir.

 

9 août 1980. Coucher dans mon lit, les yeux caves, je contemple les derniers rayons du soleil qui s’abattent à travers la fenêtre sale de l’hôpital. Trente ans se sont écoulés depuis l’accident qui a brisé mon corps et ma vie. J’entends encore les hurlements atroces de ma famille lorsqu’ils m’ont découvert, gisant en milles morceaux sur le sol humide. Ce souvenir qui me hante et me tue.

Pitié, laissez moi mourir…

 

 

 

 

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Style : Nouvelle | Par zuli3 | Voir tous ses textes | Visite : 364

Coup de cœur : 12 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : Karoloth

Ca fait froid dans le dos; ce ne fut pas facile d'entrée dans le récit, mais la fin méritait que je patiente. CdC.

pseudo : raines3d

pas mal la fin. tu poses bien le décor, l'atmosphère s'installe au fil des phrases. bravo.