- Bonjour Madame, Quel étage ?

- 854… mais pas trop vite s’il vous plait…ils dorment … là.  elle montre son ventre rond. 

- C’est quand même une drôle d’idée de prendre l’ascenseur à notre époque ! 

- Vous avez regardé la météo ce matin ? Ce n’était vraiment pas un temps à se téléporter… Avec tous ces orages magnétiques , on ne sait jamais à quelle heure on arrive… ni comment on arrive. 

Le liftier jubile. 

En début d’année, ses camarades Téléportiers de la promotion 3797 avaient bien tenté de le dissuader de se lancer dans une spécialisation Transports Historiques. Mais rien n’y avait fait….

Sa passion pour les touches et les  boutons… la relation physique à la machine… la sensation à l’accélération.. et surtout ce stage chez  «  Schindler » l’ avaient emporté sur la crainte du ridicule imposée par le costume de groom en velours rouge et le légendaire chapeau infundibuliforme à mentonnière dorée signe distinctif de la fonction. 

Il prend son temps, ôte discrètement un gant  pour mieux se délecter du contact du métal : d’abord l’étage, comme on lui a appris le 8, le 5, le 4, puis la vitesse … SLOW.. et enfin le départ OK. ( C’est quand même plus viril que les commandes mentales non ! ) 

L’ascenseur panoramique, patrimoine de l’Unesco, entame son élévation au-dessus de la ville. Noire.

-         … La dernière fois, pour ma visite de la 8^ème semaine, je suis arrivée chargée à 1400 Giga Hertz  et l’infirmière a du attendre 27 minutes avant de commencer la séance.

-         Ha … La fameuse visite de la 8^ème semaine ! Ça s’est bien passé ?

-         C’est passé…

-         Moi j’avais adoré !  Il remet son gant Tous ces détails sur notre histoire :  les débuts de l’écriture, l’antiquité, le moyen age, la première révolution industrielle …Et toutes ces croyances ces idéologies, ces théologies, ces guerres, ces gouvernements, ces peuples si colorés, si guerriers si barbares, et pourtant si attachants…Je pense que c’est en 8^ème semaine que mon goût de la chose ancienne a pris toute sa dimension.

-         Et bien je suis contente pour vous. Je ne suis pas certaine qu’ils aient adorés, eux. Elle montre son ventre une seconde fois…  Notamment ces histoires de bombes, de Tsunami, de réchauffement planétaire et tout le Toutim. J’ai bien peur qu’à trop jouer la transparence on oriente leur choix que de trop.

-         Ho vous savez s’ils en sont venus à nous imposer les grossesses Gémellaires… C’est pas pour rien. Vous avez au moins une chance sur deux qu’il y en ait un qui se décide à rester…. Regardez … Moi par exemple !  Sourire à pleines dents, il salut tel un artiste, paumes des mains ouvertes doigts écartés …  (A deux doigts près on le prendrait pour un personnage de bande dessinée du second Millénaire)

-         C’est vraiment gentil ce que vous me dites, car avec mon mari nous en sommes à la 5^ème tentative.

-         Et bien je vous souhaite le meilleur Madame. Bonne journée. Salut militaire de main de mickey au bord du chapeau…  (Ca en jette comme en 1960… ha l’uniforme ! )

La Porte vitrée de l’ascenseur s’ouvre sur le Hall 854, une infirmière en blouse rose s’approche.( Il est vraiment Vintage cet Etablissement !) 

-         Madame Martin, suivez-moi je vous prie.

La jeune Madame Martin  s’exécute, sans enthousiasme, l’accompagne au comptoir de la réception. Le liftier les suit du regard.

-         Donc je reprends :

• Patiente :Madame Martin
• Visite du jour : 13^ème semaine
• Grossesse : Gémellaire
• Objet de la visite du jour : consentement fœtal
• Programmes prénatals du jour :
• Droits des Peuples à disposer d’eux-mêmes et Pacte Républicain : 1789
• Droits des Femmes à disposer d’elles-mêmes et Pacte Social : 1969
• Droits des Personnes Agées à disposer d’elles-mêmes et Pacte Euthanasial : 2029.
• Droits des Fœtus à disposer d’eux-mêmes et Pacte Prénatal : 3039.

-         Donc comme écrit dans le pacte, après la séance d’information In- Utéro nous laisserons aux bébés deux heures pour décider si oui ou non ils désirent « venir au monde » en connaissance de cause. Voilà…. elle retourne la feuille vers la jeune Madame Martin… Vous relisez….Vous datez.. vous signez ici…elle pointe la feuille avec son stylo… le lui tend. ...Avec la mention « lu et approuvé ». 

Une nouvelle fois, la jeune Madame Martin s’exécute, une larme coule le long de sa joue gauche. 

-         Allez les enfants, On y va, c’est votre dernière séance !

L’infirmière en blouse rose se lève… Pour elle…, Madame Martin n’existe plus. 

La porte de l’ascenseur se referme.

Eric-Paul