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Une Bonne surprise par tehel

Une Bonne surprise

 

Peu importait si au loin le soleil pâle et timide joutait avec les nuages bas qui ne cessaient de déverser une pluie fine et régulière, Lewis marchait d’un bon pas, courbant le dos, et rentrant la tête dans le col de son parka qu’il avait remonté bien haut.

Avec un certain amusement, il zigzaguait entre les flaques d’eau dans lesquelles il pouvait voir son image floue et déformée. Lewis était heureux. Au bout de sa main droite, qui se balançait au rythme de ses pas pressés, sa valisette tanguait en cadence, et dans cette valisette aux bords élimés, se trouvait la lettre de promotion qu’il avait reçue à peine une bonne heure plus tôt.

Le Superviseur, Baxton s’était avancé jusqu’à son bureau, Lewis, comme d’ordinaire, ne l’avait pas entendu s’approcher, et quand Baxton avait ouvert la bouche pour lui annoncer la bonne nouvelle, Lewis avait sursauté d’effroi.

- Lewis ! Baxton avait presque hurlé de sa voix stertoreuse, félicitations mon ami, vous avez réussi votre examen! et Baxton lui avait assené une bonne claque dans le dos, Lewis avait failli en perdre ses lunettes qu’il portait uniquement pour lire.

- Réussi ?

- Oui, mon garçon, vous avez réussi !

- C’est vrai, Monsieur Baxton ? Lewis avait fait mine de se lever, mais Baxton l’en avait empêché en insistant de tout son poids de pachyderme sur le bras replié du malheureux.

- Restez assis, Lewis, terminez votre travail, ensuite, prenez votre après-midi ! Baxton avait aussitôt fait demi-tour, il ne s’était pas plus longtemps attardé auprès de Lewis, et il était retourné se planquer dans son bureau, dont les baies vitrées étaient obstruées par des stores aux lamelles inclinées.

Tout d’abord, Lewis avait pensé appeler Sue pour lui annoncer la bonne nouvelle, mais à chaque fois qu’il avait posé le doigt sur le cadran à touches du téléphone, il s’était résigné, trouvant préférable de garder la surprise pour le moment où il rentrerait.

Ensuite, mentalement dans sa tête, il s’était répété mille fois la manière dont il allait annoncer la bonne nouvelle à son épouse. Et puis, quand la grande horloge murale avait indiqué 12h00 précises, Lewis avait remballé ses objets personnels dans sa valisette, il avait glissé sa fameuse lettre dans la pochette de droite, celle-là qui ne servait à rien grand chose et il avait refermé sa valisette en redressant les épaules, fier et content. Ce jour-là, le ciel aurait pu se déchirer de mille éclairs, cela n’aurait eu aucune importance pour Lewis; il était si heureux, que rien n’aurait pu le mettre de mauvaise humeur ou saccager son enthousiasme.

En passant à hauteur de la villa des Swalow, Lewis ne fit pas un détour sur le trottoir pour échapper aux aboiements féroces du chien berger allemand qui s’amusait d’ordinaire à lui faire peur. Cette fois-là, Lewis continua tout droit, et quand la bête se jeta sur la barricade de bois en grognant, Lewis lui décocha juste un coup d’oeil amusé en se mettant à siffloter allègrement. C’était comme si plus rien ne pouvait l’atteindre ...

Au bout de l’avenue, planquée derrière une rangée d’ifs soigneusement taillés, la maison de Lewis se dressait par dessus la verdure humide. De la cheminée, quelques volutes de fumée blanche annonçaient que Sue était à la maison, et qu’elle avait allumé le feu ouvert.

Lewis s’imagina déjà l’odeur du somptueux cognac qu’il allait se verser, il se vit déjà, en homme victorieux, enlever négligemment ses chaussures et poser les pieds sur la table basse du salon, Sue assise en face de lui, l’air inquiète et perturbée par son attitude étrange et peu commune.

Cette promotion au grade de Chef de section, Lewis l’attendait depuis près de 10 ans. Par deux fois déjà, il avait présenté l’examen, et, par deux fois il avait échoué. Tandis que cette fois-ci,  Bingo, il avait bel et bien satisfait aux multiples épreuves !

Tranquillement, Lewis poussa la petite barrière de fer forgé de l’allée du jardin, qu’il referma en la repoussant du dos tout en se dirigeant tout droit vers la porte d’entrée, ses doigts cherchèrent la clé de sécurité à deux pans dans la poche profonde de son vêtement de pluie.

Lorsque la porte s’ouvrit, la chaleur torride de l’âtre, où crépitaient quelques belles bûches, l’assaillit d’emblée en lui empourprant les joues.

- Sue ? par automatisme, Lewis accrocha son imper au portemanteau. Il se baissa, réajusta la carpette d’entrée sur laquelle il s’était essuyé les pieds, et il posa sa valisette contre le petit meuble, où une photo de lui et Sue, le jour de leur mariage, prônait fièrement sur un napperon crocheté à la main.

- Sue ? il prit discrètement l’enveloppe contenant sa lettre de réussite, et la glissa dans la poche de sa chemise, sous son pull-over à col V.

- Sue, je suis rentré ! L’homme se rendit à la cuisine, d’où une agréable odeur de potage s’échappait. Sue avait préparé un bouillon de légumes, un bouillon comme elle seule savait bien les réussir, un bouillon comme Lewis les appréciait par dessus tout.

- Sue ? Sue n’était pas à la cuisine. Lewis se pencha au rideau, il vérifia la porte cochère du jardin.

Elle était refermée, la voiture était stationnée dans l’allée de gravillons rouges.

- Sue ? A l’étage, Lewis augura que Sue devait être à l’étage, occupée à refaire le lit, à changer les draps ou alors aux toilettes du haut.

Lewis monta à pas de loup. Si Sue était à l’étage, il allait lui faire une blague, lui faire peur, la terroriser en la prenant dans ses bras par surprise.

Au niveau de la troisième marche, Lewis retint sa respiration, cette troisième marche gémissait à chaque fois qu’on posait le pied dessus. Il jeta un coup d’oeil à la porte de leur chambre à coucher, mais Sue - probablement trop occupée - n’y apparut pas. Presque au ralenti, Lewis gravit les autres marches jusqu’au palier.

La porte de la salle de bains était entrouverte, Lewis tendit l’oreille, il crut distinguer un léger bruit, et se faufila  en silence le long de la paroi murale jusqu’au seuil de la pièce carrelée de bas en haut.

Les halogènes brûlaient encore, les vêtements sales de Sue gisaient à côté du bac à linges et quelques gouttes coulaient encore du pommeau de la douche qu’elle n’avait pas rincée.

Lewis fit demi-tour, il tapota sa poitrine pour s’assurer que l’enveloppe était toujours bien là où il l’avait mise et il alla tout droit jusqu’à leur chambre. Sue devait s’y trouver, sans doute affairée à s’habiller. Lentement, avec prudence, Lewis ouvrit la porte sans bruit.

La chambre était vide. Sue n’était pas là.

Comme il allait redescendre, Lewis crut reconnaître le petit bruit de tantôt.

- Sue ?!? La chambre de Steeve ! Cette idée explosa en lui, comme un flash, comme une révélation et une hantise à la fois.

La chambre de Steeve se trouvait tout au bout sur le palier, à l’extrême droite, un peu à l’écart. La porte en était close, comme depuis toujours, comme depuis ce satané jour où leur fils unique avait fait cette chute mortelle de l'arbre où lui et ses amis avaient construit une petite cabane. La chambre de Steeve, restée telle quelle, avec tous les cadres, les jouets, les objets personnels et les fétiches d'aventuriers du jeune garçon.

Lewis soupira.

Sans doute Sue était-elle dans la chambre de Steeve, bien qu’il lui avait déconseillé de s’y rendre trop souvent pour éviter les souvenirs douloureux, mais malgré tout, probablement y était-elle allée pour s’y recueillir quelques instants...

Résigné, Lewis arpenta le long couloir, sans plus penser à rien. Cela faisait des mois qu’il n’était plus allé dans la chambre de Steeve. Ses pieds semblaient s’entasser dans la luxueuse moquette en s’accommodant de cette douce moiteur.

Les effluves du bouillon lui parvinrent jusque là.

- Sue ? Lewis avait à peine parlé, il avait tout juste chuchoté, comme pour ne pas déranger la femme, pour ne pas la perturber davantage.

Délicatement, ses doigts s’étaient posés sur la clenche argentée de la porte, l’éternel petit carton fantaisiste de Steeve qui disait: "Ne pas déranger !" avait oscillé de gauche à droite, Lewis avait poussé la porte doucement, puis, il avait hésité, en reconnaissant les murmures de Sue.

Sue pleurait. Sa voix était étouffée, presque inaudible, comme meurtrie.

Lewis ravala sa salive, il inspira une grande bouffée d’air et d’une traite, il ouvrit la porte en exhibant la fameuse enveloppe ...

Sue n’était pas agenouillée au pied du bureau de Steeve. Elle ne pleurait pas sur le cadre photo du jeune homme souriant de toutes ses dents blanches, elle n’était pas non plus debout à la fenêtre, les yeux plein de larmes figés sur les vestiges de la cabane suspendue abandonnée au fond du jardin.

Lewis la chercha du regard.

La chambre était vide !

La chambre était vide, mais, de fait, elle n'était pas complètement vide.

Sous les draps du lit de Steeve, deux masses allongées remuaient à un rythme fou.

Sur la petite carpette à l’effigie d’un "John Rambo" aux couleurs passées, en tas, mélangés et précipitamment ôtés, des vêtements étaient empaquetés en désordre.

Une chaussure noire, du 43, peut-être même bien du 44, avait glissé presque sous le lit.

La chevelure sombre d’une tête bouclée était réapparue de dessous les draps. Avec elle, un bras l’enlaçant, celui de Sue, avait refait surface.

La double bosse des jambes écartées et repliées de Sue avait pris du relief autour de hanches agitées de mouvements répétés et frénétiques.

Estomaqué, Lewis avait été incapable de dire un seul mot.

Il avait voulu ne pas comprendre.

Sue avait gémi. L’homme, sur elle, avait geint à son tour en grognant bestialement.

Lewis avait frissonné de tout son être, et puis il avait été submergé d’une pulsion irréversible.

Sue avait finalement ouvert les yeux en émergeant d’une vague de plaisir intense, elle avait encore tout juste eu le temps de voir son mari, debout et étrangement empli d'une froideur déterminée, sa main droite brandissant une espèce de lettre où étaient inscrits en grand et gras les caractères: PROMOTION, dans son autre main tremblante, l'homme tenait la fameuse machette de Steeve, feu leur fils, tendue en l’air, menaçante et éminemment prête à tomber rageusement...

 

FIN.

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