Arrivé sur le quai, la pluie se mit à tomber, ou plutôt à s’effondrer sur moi. L’eau pénétrait doucement dans mes chaussures. Il y avait bien un abris à quelques mètres, mais la vanité l’emporta, alors je restais là, sous la flotte. Si le train n’arrivait pas vite, je finirais noyé par la pluie et par mes propres larmes. Je sortais de ma poche la fiole de Whisky que j’avais racheté à l’ivrogne, et en descendit la moitié d’une seule traite. Le temps paraissait ainsi beaucoup moins long, et en seulement cinq minutes qui en étaient en fait vingt, le train entre en gare. C’était une belle machine colorée, silencieuse et bombée de gens, silencieux eux aussi. Aucun d’entre eux ne bougeait ni ne parlait, c’était comme-ci le temps s’arrêtait brusquement pour me céder la place. Je pris peur, mais le toussotement du gamin assis devant la porte me fit sursauter. Je devais entrer si je ne voulais pas être en retard : j’avais rendez-vous avec la mort. Quand on passe sa vie à mourir, le moment ultime fini forcément par arriver un jour ou l’autre.

Je montais alors dans le train, mes vêtements souillés par la pluie, la boue et l’horreur de cet échec qui montait en moi comme un arrière goût de trahison. Le paysage défilait à une vitesse effroyable. En jetant un œil à l’horizon, là où nous allions les autres passagers et moi, j’apercevais la nostalgie des longues nuit d’été qui se dissipait petit à petit dans la brume et l’humidité. Les passagers restaient silencieux et immobiles, c’est dans ce silence glacial que j’essayais de lutter contre mes larmes, mais en vain. Déjà la machine partait à toute vitesse, emportant tout sur son passage.