(…) Il lui fallut un bon quart d’heure d’acharnement opiniâtre avant d’arriver à extirper le « bijouphone » doré de son écrin. Puis presque le double pour arriver à fixer le bec au corps du sax. Lorsqu’enfin il y parvint, il était déjà en sueur. De notre côté, nous étions toujours à fond les manettes, mais nous n’allions pas pouvoir garder ce rythme encore bien longtemps. J’avais déjà cassé 2 cordes à ma guitare mais ça n’avait aucune importance vu que je m’aventurai désormais dans un territoire musical où l’instrument, la technique et la notion d’harmonie étaient secondaires.
Après moult péripéties dont je vous passe les détails pendant lesquelles il livra une bataille acharnée pour, réaliser des « manips » de base comme, entre autre, accrocher l’instrument à sa dragonne et se la passer autour du cou, le prodige vint se placer devant le micro que nous avions installé tout spécialement pour son auguste personne. Il était enfin prêt à nous rejoindre pour nous faire atteindre les cimes escarpées de la musique contemporaine. Je l’invitai d’un hochement de tête à y aller. Il y alla.
Il se mit à souffler comme un beau diable dans le « tuyau », de toutes ses forces, de toute son âme, mais rien de notable ne se passa si ce n’est le fait que son visage émacié se colora progressivement en rose foncé puis en rouge vermeille en passant par un violet–pourpre profond pour parvenir enfin à une nuance de bleu que je qualifierai de… cyanosé… Le voyant s’époumoner et gesticuler sans qu’aucun son ne soit audible, Pierrot pensa que l’ampli qui devait restituer les prouesses de l’Artiste était coupé.
Il prit donc l’initiative d’aller jeter un coup d’œil sur les fils et les connections mais il se retourna et m’adressa une moue qui signifiait qu’à priori tout allait bien et qu’il ne comprenait pas d’où venait le problème. Dans le doute, je lui fis signe de tout pousser à fond, ce qu’il fit.
Un sifflement sinistre commença à croître dans la pièce, jusqu’à passer au dessus du vacarme ambiant déjà considérable. L’autre tâche, plié en deux sur son instrument muet était écarlate, Pierrot quand à lui se tenait face au HP et bidouillait les réglages pour essayer de contenir l’effet larsen qui commençait à devenir intolérable. C’est à cet instant que brutalement le monde explosa…
A force de souffler à tort et à travers en mordant le bec et l’anche du saxophone martyrisé, notre Charlie Parker du dimanche, réussit, contre son gré à émettre une espèce de… bruit. Non pas un son ni une note, je veux plutôt parler d’un hurlement bestial, qui serait le fruit d’un d’animal monstrueux, issu de l’union contre nature d’une vache ou d’un chameau et d’un canard ou un jarre… Le meuglement sur-amplifié cueillit Pierrot de plein fouet, qui tomba raide à la renverse, sur le dos, inconscient, sa basse sur le ventre. Je reçu la décharge dans le dos et dans un réflexe de survie, je plaquais mes deux mains sur mes oreilles et me recroquevillais sur le sol dans la position du fœtus.
Le tueur au saxophone avait trouvé la combine pour produire du son avec son arme par destination mais il ne maîtrisait rien. C’était un peu comme si un débile profond avait une Kalachnikov entre les mains et qu’il avait déclanché le tir contre son gré, sans parvenir à contrôler les pressions de son doigt sur la détente… Aux abris ! Ca partait dans tous les sens… N’importe quand, n’importe comment… C’était à pleurer. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l’occasion d’écouter un débutant s’époumoner dans un sax… Aïe ma mère… C’est insupportable… C’est pire que tout ! Il n’y a pas d’équivalent… Même le débutant au violon, qui cependant peut rendre fou ou générer des accès de violence parmi l’auditoire, se place bien loin derrière.
Le saxophone, lorsqu’il n’est pas maîtrisé par celui qui le chevauche devient une machine à faire perdre la raison. C’est intolérable. J’ai lu quelque part que les services secrets de certains pays utilisaient, la technique dite du « saxo-du-débutant » pour faire parler les espions coriaces ou mater les récalcitrants. Cela contrevient aux conventions internationales mais c’est parait-il très efficace. Je le crois volontiers.
Bref ! J’étais toujours sur le sol, incapable de décoller les mains de mes oreilles, le clavier, à genoux, commençait à faire une dépression nerveuse. Il pleurait à chaudes larmes et riait aux éclats dans le même temps. Pierrot quand à lui refit surface. Il se leva lentement, puis, livide,s’approcha de notre bourreau qui bramait de plus belle sans se rendre compte de rien, prit sa basse à deux mains par le manche et la brisa net sur le crâne du malfaiteur musical. Il était temps car les forces de l’ordre prévenues par les habitants du quartier rendus hystériques par le vacarme infernal, défonçaient la porte du local. La suite fut classique : matraques, menottes, prison. C’est ainsi que s’acheva notre carrière de rock-stars internationales, pour le plus grand bien de l’humanité et celui des chiens du quartier.
J’avais certes exagéré un tantinet mon récit mais ma banquière, avait rit à plusieurs reprises. C’était un peu le but, il faut l’avouer car il fallait bien que je la prépare à ce qui allait suivre et qui était de toute autre naturE… (A suivre)
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Style : Nouvelle | Par GILLES | Voir tous ses textes | Visite : 641
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pseudo : Ombres et lumières, une vie
Tout un univers. Bravo !
pseudo : Ombres et lumières, une vie
Coup de coeur !
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