Carnet de voyage
La traversée du désert
Qui ne sait comment le voyageur qui entame la traversée du désert, le trouve accueillant, tranquille, parsemé de buissons apaisés prêts à devenir ardents. Les épines elles-mêmes caressent ses chevilles. Sa gourde clapote d'un reste d'eau.
L'oasis, la bienvenue, sourit et se pare de souvenirs et des plus doux pensers.`
Et d'oasis en oasis, la dune s'arrondit. Le cheminement s'enlise dans le sol qui se dérobe sous la sandale. Le vent de sable souffle et érode épiderme et aveux marmonnés. La déglutition du désir arrache le gosier. Les vêtements et le cœur en lambeaux, l'hôte se jette fiévreusement sur l'eau glauque du puit que lui tend la gazelle aux allures de vieille femme sous ses haillons informes.
Bientôt, nulle oasis. La roche caillouteuse, nue, acérée, avide, pour tout horizon.
Inexorablement.
Et le mirage de la folie pour tout espoir de jouissance.
Les mains raidies n'appréhendent plus qu'un vide qui file entre les doigts. Pieds ensanglantés et jambes tibubantes mordues de soleil le soutiennent à peine.
Ses lèvres crevassées ne peuvent plus même murmurer son nom.
Le nom de l'aimée … Demain son pharynx l'aura oublié comme s'efface sa face de l'étendard qui guide l'insensé.
Inexorablement sans espoir de marge.
Parfois, oh! heureuse panique au solitaire, croise sa voie unique une caravane. L'œil kôlé d'une étrangère lui caresse le cœur. Assouvissement. La volupté monte et se lève. Inconstance… Non pas! Viatique à sa faiblesse suscité par l'aimée. Amalgame dans l'usufruit des sens. Substitut dont la privation sans lendemain porte en elle sa propre expiation.
Plus seul encore est abandonné le voyageur à sa route.
Inexorablement.
Inexorablement se dresse la montagne qui le sépare du pays où coule l'eau et le miel.
Infranchissable.
Sa vie s'effiloche dans l'ascension tortueuse et ardente. Le soleil racornit sa pauvre chair. L'eau ne sourdra plus jamais. Les provisions épuisées clament le ventre qui s'épuise. Les entrailles se déchirent dans une crispation brûlante.
Inexorablement. Sans plus de caravane dans ces hauteurs où le pied du chameau ne parvient pas. Sans plus de mirage pour étourdir son trébuchement. Sans plus l'espoir d'apercevoir l'oasis finale.
Inexorablement.
Il tombe et éjacule de plaisir. Il Sait.
Il est arrivé. La mort douce le broie de ses serres, son bec le déchire encore palpitant …
© Anne Mordred 1999 (Inséré dans "Attente Affolée")
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Style : Réflexion | Par Anne Mordred | Voir tous ses textes | Visite : 279
Coup de cœur : 9 / Technique : 9
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pseudo : BAMBE
Je redécouvre avec grand plaisir tes écrits.
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