Arrachements
La proie semblait attachée à la terre par une multitude de petits liens.
Quand la barcasse s'ébranla, ils se tendirent. Des fils si ténus se nouaient dans la chair exquise qu'à peine les distinguait-on.
Les lambeaux de peau s'arrachaient avec eux. Frémissements ténus derrière l'indifférence de façade. Un à un. Lentement. Sans l'heureuse apathie, ils eussent pu dénoncer la géhenne à l'œil avide des voyeurs vociférants. Bornes de la souffrance, les téguments délicats s'étiraient, se tendaient, se boursouflaient et cédaient enfin dans un giclement sanguinolent avec un petit chuintement agaçant de ventouse qui éclate.
L'âme s'altérait de même. Sans bruit, sinon un spasme sourd.
Suaves et pernicieux, les gémissements se confondaient au vent, les larmes à la pluie. Les flots engloutissaient ces hameçons de vie atomisés. Une fente s'ouvrait en proue qui les happait. Partagées en deux cuisses, les vagues basculaient de chaque côté de la coque. Laissant derrière elles le sillage noir de la stérilité, elles s'éparpillaient en frémissant dans une volupté morbide.
Le roulis emportait les idées vers les gouffres de fiels. L'écume blanche les léchait de sa voracité effroyable. Elles chaviraient de pamoison en oubli.
Et le monstre attendait, tapi au milieu des écueils, la gueule béante.
La lune verte se reflétait dans le clapotis de sa bave entre ses mandibules avides.
© "Attente Affolée" Anne Mordred 2009
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Style : Poème | Par Anne Mordred | Voir tous ses textes | Visite : 247
Coup de cœur : 8 / Technique : 6
Commentaires :
pseudo : VIVAL33
Arrachements... les images sont si fortes qu'on le ressent ce terrible arrachement... Bravo
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