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LA NACELLE, ou la Roue tourne par tehel

LA NACELLE, ou la Roue tourne

-"Ton sac est prêt dans le hall. Ce n'est pas grand-chose, il s'agit de tes effets personnels. Tu repars avec ce que tu es venu: c'est-à-dire rien du tout". Ses mots durs et impitoyables avaient été comme une rafale de Kalajnikov.

Alan aurait voulu lui parler, trouver une solution, comprendre et ne jamais vivre ses instants-là. Mais Clara avait mûrement réfléchi cette rupture et rien ne pouvait l'en faire changer d'avis.

En passant la porte, il s'était retourné, avait voulu détacher sa montre-bracelet, mais elle l'avait interrompu: -"garde-là, ça n'a de toutes manières pas grande valeur". Et Alan avait fait demi-tour, les yeux emplis de tristesse. –"La route tourne Alan, elle tourne, tu l'auras ta chance!" ce furent là ses derniers mots.

6 mois s'étaient écoulés.

Recroquevillé dans le coin de la nacelle, Alan haletait par à-coups, de ses mains jointes sanguinolentes, il soutenait son flanc gauche qui le lancinait un peu plus à chaque respiration, en lui calcinant les entrailles.

Parce que le pire de tout, c’était cette épouvantable morsure qu’il ressentait à l’intérieur du ventre.

Encore une fois, il y jeta un coup d’œil.

Au travers de son vieux blouson de daim complètement élimé aux manches, le bris de vitre avait transpercé son pull, sa chemise, et avait littéralement dardé les chairs de son flanc gauche, jusque très profondément à l’intérieur.

La plaie saignait régulièrement à gros bouillons.

Le bris de vitre qui dépassait grossièrement de ses vêtements devait mesurer quelque 30 centimètres particulièrement tranchants à divers endroits. Si bien qu’Alan n’était pas encore parvenu à l’extraire, s’y blessant la paume des mains à chaque tentative.

La douleur était insoutenable. Il frissonna. Un vent, froid et sec à la fois, lui fouettait le visage en ricochant contre les murailles de la Paradise Tower Tru$t.

Tout avait été si vite! La roue, cette fameuse roue dont Clara avait parlé, avait tourné, mais une fois de plus, elle s'était arrêtée sur la mauvaise case.

Tout paraissait déjà si loin, Alan avait l’impression que cela s’était passé un siècle auparavant, alors que les aiguilles de sa Swatch  indiquaient qu’à peine dix minutes s’étaient écoulées depuis que la petite fenêtre pivotante des toilettes s’était refermée violemment en claquant au vent, se brisant net en lamelles acérées.

Un coup de vent contraire, une bourrasque imprévisible, qui, si elle ne lui avait pas directement coûté la vie, l’entraînait inexorablement vers une mort certaine!  Un tourbillon malin qui avait entortillé le câble remorqueur en le faisant sauter par-dessus la poulie!  La nacelle était subitement descendue de quelques mètres, pour finalement se stabiliser dangereusement de travers.

L'homme avait directement réagi en se précipitant sur le boîtier de commandes du petit moteur fixé à la nacelle. Il avait enclenché le bouton vert sans même regarder, puis, comme après quelques secondes la poulie s’était mise à patiner et que sa blessure au côté s’était éveillée, il avait réalisé toute la catastrophe. Il était bloqué là, à plus de 100 mètres au-dessus du sol, prisonnier de son berceau naviculaire en panne, un bris de verre planté dans les tripes!

C’était une question d’heures pour qu’on s’aperçoive de sa présence là-haut, mais c’était surtout une question de minutes avant qu’il succombe définitivement à la terrible blessure qui lui meurtrissait les viscères!

Une fois encore, des ses doigts engourdis et blessés qu’il serra sur le long fragment de verre, il tenta de se débarrasser de celui-ci. Ca avait été comme si on avait bouté le feu à l’intérieur de son ventre, comme si ses boyaux avaient explosé d’un coup, lui pulvérisant les organes. Il ne put étouffer un cri déchiré de douleur et il dût s’arrêter de tirer tant cette épreuve était insupportable!

La paume de ses mains se mit à saigner abondamment d’une double plaie superficielle.

Alan vérifia encore les fenêtres fermées qui bordaient sa gauche, les reflets de l'horizon l’empêchaient de discerner l’intérieur, mais il savait qu’à ce niveau personne ne pouvait le voir. On était samedi, et le samedi, tous les bureaux étaient inoccupés!

Tant bien que mal, il remua les jambes, les ramena sous lui et tenta de se relever. La sorte de pieu qui dépassait de sa poitrine le gênait fortement dans ses mouvements, il parvint néanmoins à se remettre debout en s’aidant du garde-fou de la nacelle.

En bas, la ville endormie sommeillait paisiblement. Le samedi, à 7h00 du matin, peu de circulation encombrait les rues et encore moins de badauds se baladaient.

Il tira sur ses bras, tâchant d’oublier les supplices qu’il endurait et lentement, il gravit la pente formée par le plancher grillagé de la nacelle bloquée de travers. À l’autre extrémité, le câble, enroulé autour de l’axe conique de la poulie, grinçait dangereusement.

Tout à coup, la nacelle bascula, descendant de nouveau de quelques mètres. Alan eut tout juste le temps de se rattraper au parapet, de serrer les mains et se plaquer contre la paroi. Brusquement, la nacelle se stabilisa, un peu plus de travers encore, arrachant un hurlement de désespoir à l’homme qui faillit s’évanouir comme l’éclisse de verre se rompit au niveau de son abdomen. Un épais filet de sang chaud se remit aussitôt à suinter de ses entrailles blessées.

Alan sentit la chaleur nauséeuse qui se mit à couler de plus belle le long de ses côtes et il dût s’asseoir pour reprendre son souffle et tâcher de ne plus paniquer.

Au dessus de sa tête, le filin de remorquage s’effilocha en une première touffe de brins d’acier distendus.

Il épongea sa plaie ichoreuse en la comprimant pour essayer d’arrêter l’hémorragie.

Ne plus bouger, surtout ne plus bouger pour ne pas faire tanguer la nacelle davantage!

En un second bouquet, plus important encore, les torsades métalliques s’enroulèrent le long du câble effrangé. La nacelle toute entière vacilla dangereusement. Alan retint sa respiration.

À cette hauteur, la chute serait mortelle. Dans un mouvement presque imperceptible, le plancher s’inclina encore, Alan glissa doucement contre la rambarde du fond et il ne put détacher son regard affolé de la drosse qui continuait à s’effiler en lambeaux.

Lentement, il retira sa veste qu’il roula ensuite en boule pour l’appliquer précautionneusement sur la profonde taillade qui lui labourait le ventre. Puis, presque au ralenti, il se redressa à hauteur de la baie vitrée la plus proche.

Ce qui primait avant tout, c’était ce foutu câble usé qui allait lâcher d’un instant à l’autre. Casser une vitre. Du moins essayer, car les fenêtres des bureaux - des doubles vitrages haute sécurité -, étaient normalement garanties antichoc. Violemment, à l’aide de la petite manivelle servant initialement à régler la tension du câble, Alan frappa la fenêtre. La nille rebondit, l’homme faillit la perdre dans le vide, mais, in extremis, il se ressaisit et ne lâcha pas prise. Une seconde fois, il frappa. Plus fort, au risque de s’esquinter un peu plus les tripes. La manivelle rejaillit en arrière avec force, mais il s’obstina. Le filin ténu craqua de tous côtés. Oubliant les terribles élancements qui le forçaient à courber le dos, l'homme abaissa une troisième fois la manivelle. La vitre explosa littéralement, volant en éclats émiettés.

La nacelle tomba un peu plus bas. Il tendit la main. Il pouvait à peine atteindre le rebord de la corniche. Un dernier coup d’œil au câble l’avertit qu’il n’avait plus de temps à perdre, il s’accrocha à la corniche, lâcha un cri de douleur et de son autre main, s’y agrippa du mieux qu’il put.

La nacelle fléchit un peu plus, le câble se fendit d’une traite et la coque balança dans le vide, stupidement suspendue au bout du second câble intact.

La terre entière vacilla.

La Roue se remit à tourner.

Les aiguilles de sa Swatch ronronnèrent au rythme des balancements de la nacelle au-dessus du vide. Un fulgurant mal coriace et coléreux le submergea. Ses doigts glissèrent lentement.

C'était la fin!

Alan allait lâcher.

Plus la force ni l’envie de lutter.

Trop mal!

Une chute de près de 100 mètres.

Il revit encore en images subliminales, ses parents, Clara et tous ses amis. Il respira une grande bouffée d’air frais, se mordit la langue et ouvrit les doigts...

La chance et la malchance sont deux hasards provenant d’une accumulation circonstancielle d’événements fomentant la réalisation d’une chose ou d’un fait aléatoire ou tout au moins équivoque. La chance et la malchance sont les deux cases marquées sur la grande Roue de la Vie.

Et la Roue tourna.

Surgies de nulle part, deux mains fortes et déterminées rattrapèrent Alan par les poignets.

Un type corpulent s’était penché par la fenêtre brisée, il avait tout juste eu le temps de saisir le malheureux avant qu’il tombe.

Alan rouvrit grand les yeux.

Il crut rêver.

Le type le maintenait au-dessus du vide en plissant le front, il soufflait et semblait fortement peiner.

Alan réalisa.

Il essaya de remonter, mais la douleur au côté était beaucoup trop forte.

Exténué, le gros homme n’en pouvait plus, ses yeux imploraient Alan.

Et la Roue tourna de nouveau.

Insensiblement, ses poignets glissèrent entre les doigts boudinés du gros homme.

Quelques millimètres à la fois.

Dans un effort presque surhumain, le type banda ses muscles pour ramener le pauvre Alan, mais il en fut incapable.

Les poignets d’Alan glissèrent.

Le sol se rapprocha.

La Roue tourna une fois de plus.

Les doigts trapus de son sauveteur rencontrèrent sa montre-bracelet Swatch. Ils serrèrent davantage, ils s’y cramponnèrent avec détermination. L’homme tira une nouvelle fois sur ses bras pour le relever.

La loi universelle de l’attraction terrestre fut contrecarrée.

La Roue tourna une ultime fois.

La Swatch d’Alan!

Une montre sans grande valeur que Clara lui avait offerte à l’occasion de leur premier anniversaire de mariage.

Un mariage raté, un mariage bloqué sur la mauvaise case, celle de la malchance!

Une Swatch, avec une belle saloperie de bracelet à clips.

La Roue stoppa sur la case malchance, les clips sautèrent hors de leurs arrêtes, le bracelet s’ouvrit, le gros homme lâcha tout, sauf la Swatch qui demeura suspendue à ses gros doigts boudinés.

Quelques secondes, une éternité.

Un bruit horrible, des images atroces.

Une grotesque bouillie explosive de chair, d’os et de cervelle.

La Roue avait tourné.

Alan n’eut pas vraiment le temps de souffrir davantage. La Roue s'était arrêtée pour lui. Pour toujours.

Fort heureusement, personne n’avait eut la bonne idée de passer par là au moment où le pauvre s’écrasa lourdement sur les dalles grises du trottoir de la Paradise Tower Tru$t...

 

FIN

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Commentaires :

pseudo : Karoloth

Belle idée et bien racontée. Cependant, tu devrais corriger les erreurs qui lestent le texte de ci, de là.