La belle histoire des Gandharvas et des Apsaras
Les Gandharva(s) ("Parfums" ou "Harmonies célestes") sont les héros de mythes pré-aryens. Il s’agit d’hommes-chevaux qui sont aussi des sortes d'anges musiciens. Ils ont pour fonction originelle de garder le Soma, la boisson des dieux, équivalent de notre Ambroisie antique.1
Ils batifolent en compagnie de sortes de femmes-sœurs, les Apsara(s), sur le Meru (ou Mandara), montagne polaire céleste, parfois confondue avec l’Himalaya, lieu paradisiaque hyperboréen où se promènent primitivement tous les êtres divins: dieux, Sura, nymphes et esprits, Asura2, oiseaux mythiques aux ailes d’or et même Râkshsa (démons). Le Meru est "rond comme le soleil du matin" et "ressemble à une flamme sans fumée".
En tant qu'essences, ils se nourrissent du "parfum des herbes". Ce sont eux qui guérissent d’ailleurs Varuna de son "impotence" avec une plante aphrodisiaque. En conséquence, on imagine ces entités non pas comme de purs esprits, mais à l'instar des faunes, très sexués (une qualité pour les Hindous, non un signe de bestialité). Leur utilité dans la fécondité de la nature rejoint leur rôle dans la réflexion abstraite: on appelle "Gandharvas" la partie de l’âme qui transmigre de vie en vie.
Tout les oppose à la philosophie des Brahmanes: leurs actions taquines, leur caractère truculent et surtout leur vie extrêmement libre. Et l'on comprend pourquoi le Brahmanisme a tenté d'évacuer les mythes les concernant. Hélas! Il a presque réussi. S'ils reviennent avec l'Hindouisme, ils n'apparaîtront plus que comme compagnons du "Seigneur-du-Sommeil" en gloire (Shiva). On ne les rencontre plus guère que dans les cérémonies du Carnaval.
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Les Apsaras, nymphes aquatiques et agrestes, sont réputées pour leur étonnante beauté de femmes-fées nées de l’onde: yeux de lotus, taille languissante, hanches larges.
Philosophiquement, elles sont les possibilités non-manifestées qui n’existeront jamais matériellement. Esprits des eaux, révélées au moment du "Barattement de la mer", elles s’évanouissent dans l’océan causal dès qu’on les perçoit.
Pas pour tout le monde! Quand un homme leur plait, elles ne se montrent pas vraiment prudes et dispensent volontiers leurs faveurs. Comme les Walkyries, elles glanent aussi leurs amants parmi les morts du champ de bataille. L’Atharva Véda prétend même qu’elles donnent la folie, "séduisent les ascètes", attirent leur proie avec de douces paroles et se dérobent à qui cherche à les saisir.
Un bon truc, Messieurs! Pour les attraper, il faut leur voler leurs vêtements pendant qu’elles se baignent, comme les Filles-cygnes scandinaves ou Tche-niu, La Tisseuse Céleste chinoise. Vous deviendrez leur "maître" tant que vous ne leur rendrez pas leurs habits (mais il n'est pas interdit de faire un peu de shopping avec votre conquête et de l'emmener choisir une robe bien terrestre chez quelque bon faiseur…).
Dans la mythologie tardive, ces nymphes, que personne ne peut épouser parce que personne ne peut les saisir sans ruse, seront prises pour des courtisanes. De "femmes-des-dieux", elles deviennent "filles-du-plaisir", et même carrément "filles publiques" dans le Râmâyana.
Quelques légendes concernant les Apsaras et les Gandharvas nous sont cependant parvenues. Touchante et singulière, celle d’Ourvaçi, en particulier, rappelle celle de Psyché:
Le roi Purûravas eut le bonheur de sauver deux Apsaras enlevées par des démons. Il pria l’une d’elles, Ourvaçî, en mariage. Elle accepta à une condition: elle ne devait sous aucun prétexte le voir nu3 pour avoir le droit de rester sa femme.
Purûravas et Ourvaçî vécurent heureux jusqu’au jour où les Gandharvas, jaloux de ce mari trop aimé, décidèrent de récupérer Ourvaçî, par la ruse. Ils procurèrent du Soma à Purâravas. C'était gentil! (Les traditions anciennes y voient la première initiation accordée à homme. En buvant le Soma, Purûravas goûterait à l'essence des dieux4.) Mais c'était à double tranchant. Car, malheureusement, c’est rudement bon le Soma. Et cela rend gai! On imagine le désastre attendu par les Gandharvas: un jour où… il avait un peu abusé, Purâravas fit comme Noé, il se "revêtit d'espace" et entama la danse sacrée… A ce moment, les petits malins remplirent le ciel d’éclairs: on y voyait comme en plein jour! Ourçavi disparut et plongea dans un lac.
Commence alors une quête compliquée: son époux va la rechercher, elle et son fils né entre temps. Il arrive après moult aventures au Lac des Cygnes (le cygne est l'apparence la plus courante des Apsaras). Parmi eux, nage mélancoliquement Ourvaçî. A force de supplications, Purûravas obtient d’elle qu'elle lui accorde, au moins, la dernière nuit de l’année. Elle s'attendrit, accède à sa demande et lui révèle alors que pour qu’une telle séparation n’arrive plus, il doit demander aux esprits de devenir l’un des leurs. Le jour dit, elle organise une réception dans un palais merveilleux, un banquet somptueux, des festivités grandioses… Les Gandharvas, naturellement sont invités. Dûment enivrés, ils se montrent libéraux et consentent à Purûravas la réalisation d’un vœu en l’honneur de la fête. Celui-ci suit le conseil d’Ourvaçî et demande à devenir l’un des leurs. Les Gandharvas, flattés, promettent de le laisser partir avec son fils. Mais, rusés, ils exigent que Purûravas leur fasse un sacrifice, une fois arrivé chez lui, pour être admis parmi eux.
Les hommes, en cette époque reculée, ne connaissaient pas encore le rite du sacrifice. Les génies lui enseignent donc comment l'effectuer. Généreux en apparence, ils lui confient même le feu sacré pour pouvoir mener à bien le rituel qui fait de l’homme un Gandharva. Malheureusement, quand on ne l'entretient pas, il suffit d’un instant d’inattention pour que le feu s’éteigne!… Les petits malins ont naturellement omis de le dire. Le roi n’a même pas le temps de procéder au sacrifice. A la première halte, le feu éteint est changé en arbre et devient l'Açvattha. Le récipient qui le contenait lui aussi, prend racine et donne le Çamî. Ulcéré, Purûravas retourne dans l'Autre Monde. S’estimant floué, il va demander des comptes aux Gandharvas. Ceux-ci, qui ne sont pas de mauvais bougres, se sentent un peu penauds. Ils lui donnent un conseil, et, ce faisant, lui offrent cette fois, un cadeau, royal: “Taille une branche de Çamî puis une autre de Açvattha. Fais tourner l’une dans l’autre, tu obtiendras le feu que tu as reçu de nous.”
Ainsi les hommes apprirent à faire le feu qui permet le sacrifice (yajña) aux dieux en faisant tourner une baguette d’Açvattha. dans un creux taillé dans Çami. Ce rituel est devenu le sacrifice du matin védique, puis brahmanique et hindouiste, le seul auquel l’épouse doit obligatoirement assister.
Purûravas devint Gandharva et demeura toujours avec Ourvaçî. Ils vécurent éternellement heureux et eurent beaucoup d'enfants, les "Serviteurs de Nrdeva" qui formèrent une dynastie lunaire, issue de Purûravas (appelé aussi Nrdeva: littéralement l'“homme-dieu”, l'initié).
© Anne Mordred (2007) pour MARE NOSTRVM B.C.B.
1 : Après l'arrivée d'Indra dans le Panthéon, ils seront remplacés dans ce rôle par les Marut(s), force védique des Rudra(s).
2 : Asura ("Non-dieux"): Frères aînés des dieux et leurs égaux en droits et en résidence. Le terme "Asura" représente l’Etre Suprême dans les plus anciens textes du Rig Véda. Il est souvent employé pour désigner les dieux pré-védiques et même Varuna. Au départ, ils représentent les ténèbres et sont devenus de ce fait, par la suite, des démons.
3 : Cf.: le Brahmane ne doit ni se montrer complètement nu, ni voir sa femme complètement nue, comme le Flamine (Grand prêtre) dans la Rome antique.
4 : Dans le troisième Ciel de Yama, les Pères (Pitri) boivent le Soma qui les délivre de la seconde mort. Ces sont les Progéniteurs des races, considérés comme égaux des dieux.
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