Emile était un ami de mon frère, et je l'aimais beaucoup. Il savait très bien raconter des histoires. Des histoires de rien du tout, du quotidien, devenaient des vraies énigmes, ou contes : une machine à laver qui tombe en panne, son chat qui ouvre des portes, et, plus tard, les voyages. 
Il racontait, racontait; la nuit, en rentrant d'une virée, dans les rues d'Utrecht, et moi je marchais à côté de lui, complètement envoûtée. Puis, soudain, j'entends la voix de mon frère derrière: " hé; hoho! ...on est arrivé, où tu vas??" Alors on rigolait tous, un peu gênés, et je montais sagement chez mon frère. Moi je l'aurais suivi partout, Emile.
Emile s'est donc mis à voyager. Il partait avec sa copine en Amérique du Sud, et, pendant qu'elle faisait des reportages, lui découvrait la vie de là-bas à sa façon... dans les bars. Il passait son temps à discuter avec les gens qui traînaient dans les petits bistrots. Il en est quandmême devenu alcoolique. Lui qui était plus beau que Bowie est devenu tout bouffi et un peu gros.

Mais je l'adorais toujours autant. Chez mon frère, quand je me disputait avec mon petit ami au téléphone, il venait s'asseoir avec moi et me roulait une clope.

Quelques années après, Emile vivait en France aussi. Pas très loin, dans un bled qui s'appelle Décazeville.. drôle de nom... 
Un soir, alors que j'habitait au fin fond de la campagne, mon frère me téléphone, et me dit qu'Emile est à l'hopital à Toulouse, qu'il a une maladie tropicale, et qu'il est inconscient. Mon frère me demande d'appeler les médecins pour bien leur expliquer tout, en français. J'appelle. J'explique... le médecin me dit qu'Emile va mieux. Je décide d'y aller le lendemain.
Le lendemain, Emile est mort. Il est mort tout seul dans ce putain d'hôpital.
Je n'y suis pas allée à temps.