Howie Trevis avait tout juste 13 ans.
13 ans, l'âge ingrat.
L'âge où l'on croît tout savoir, l'âge des découvertes aussi.
La grande Belinda Carlinsde, de la classe juste au dessus de la sienne, n'était plus la pimbêche à l'airbag impressionnant qu'il avait si longtemps cru.
De fait, cette anatomie de camélidé, qu'autrefois ses camarades et lui s'amusaient à pincer, était bien plus qu'un double monstrueux renflement du thorax, c'était devenu un sujet de conversation très prisé, en plus d'une obsession nocturne récurrente.
Malgré tout, même si Howie était par la force des choses devenu un adepte de l’autopalpation, il était encore un enfant.
Même si ses livres préférés avaient subitement disparu de sa table de nuit au profit de trois pages de magasines offrant un surprenant échantillonnage de méga-roploplos, Howie était toujours un enfant.
Même si les sites de jeux on-line auparavant visités quotidiennement étaient désormais ignorés au profit d'autres interdits aux mineurs, Howie était encore un enfant.
Et enfin, même si sa main droite, la belle main comme on le lui avait inculqué, ne lui servait plus seulement qu'à écrire ou qu'à maintenir le bout de chair d'entre ses deux jambes, bout de chair aux propriétés extensibles étonnantes, Howie était encore un enfant. Et un enfant, reste un enfant. Même Howie.
Si cela faisait bien longtemps que le gamin y avait vu clair et qu'il savait, quelque chose en lui d'enfoui en son for intérieur en pleine mutation le poussait à toujours y croire.
Aussi, tandis qu'il surfait en cachette sur "chaudasses sans préjugés" et qu'un spam lui avait proposé d'envoyer un courriel à Père Noël, Howie avait basculé vers l'application et il s'était mis à écrire.
Cette année-là donc, pour la toute dernière fois, il lui écrivit. Sans réelle conviction et plutôt par défi.
Cher Père Noël,
Cette année, je ne t'écris pas pour te dresser la liste des jouets que j'aimerais que tu m'apportes. En fait, je ne veux plus de jouets, cela ne m'intéresse plus vraiment.
Ce qui me ferait plaisir, bien plus plaisir que tout ce que tu as déjà bien pu m'apporter, ce serait de pouvoir passer quelques minutes avec Belinda Carlinsde.
J'aimerais tant toucher sa poitrine et l'embrasser sur la bouche !
Rien que quelques instants, pour que je me rende compte des sensations que cela procure. Tu avoueras que ce n'est pas grand chose.
Voilà, c'est tout ce que je désire pour cette année. Merci d’avance Père Noël !
Howie relut sa lettre et activa le correcteur orthographique. Il fit mine ensuite de cliquer sur le bouton "send".
Mais il se ravisa, ses yeux se figèrent quelques secondes sur le petit cadre trônant sur le dressoir de la salle à manger. Un cadre blanc avec deux bords triangulaires dorés.
Une photo de ses parents souriant, comme pour une pub de dentifrice, avec Charlene, sa petite sœur de 2 ans, assise entre eux deux.
Howie reprit rouvrit son e-mail, soudain éclairé par une idée lumineuse qui avait bien faillit lui sortir hors de l'esprit.
p.s. cher Père Noël, rajouta t il en bas de page.
Pourrais-tu, en plus, me débarrasser de ma sœur; depuis qu'elle est née, il n'y en a plus que pour elle !
Merci encore.
Ensuite, Howie envoya son courriel adressé à Père Noël.
Quelques jours plus tard, tandis que Howie étudiait scrupuleusement les reliefs tortueux d'une jeune fille nue dans une revue empruntée à son père, la sonnette d'entrée retentit bruyamment dans le hall.
Howie fut surpris. Qui cela pouvait-il bien être ?
Son père s'était absenté pour tout le week-end et sa mère venait juste de monter dans sa nouvelle "Smart" vert pomme pour aller rechercher Charlene chez la gardienne, à quelques kilomètres de là.
Sur le qui-vive, le jeune garçon espionna via le judas de la porte.
Belinda Carlinsde !
C'était elle ! Elle était là, sur le seuil, en train d'ajuster son allure en moulant son pull aux formes généreuses de ses seins gonflés et en repoussant en arrière une mèche de ses longs cheveux blonds.
Howie défit le double loquet du verrou.
- Salut Howie, je passais par là, alors, je suis venue te dire bonjour ! récita par cœur la fille en se tortillant comme si elle venait soudain de réaliser qu'elle devait impérativement satisfaire un besoin naturel.
Bouche bée, Howie resta un moment immobile, puis tout à coup, dans la tête, les pensées les plus folles firent irruption. Il bouscula Belinda et courut jusqu'au beau milieu de la rue.
Ses yeux affolés, soudain alarmés, cherchèrent en vain la petite voiture de sa mère dans le flot rapide des véhicules pressés qui filaient en désordre sur la grand-route.
Un goût amer de regrets le paralysa sur place.
Hébétée, Belinda le rejoignit, elle prit la pause, se racla la gorge discrètement, et de sa plus belle voix, tandis que le garçon s'était mis à trembler d'une peur convulsive, elle lui demanda inutilement: - Dis-moi Howie, t'as reçu quelque chose pour Noël ?
En pensées subliminales, au rythme des battements sourds de son cœur emballé et à celui des mugissements des moteurs maltraités qui provenaient d'au-loin, Howie crut voir et entendre l'effroyable horreur d'un carambolage meurtrier...
Deux rues plus loin, en effet, au carrefour, le chauffeur d'un camion-citerne venait inexplicablement de perdre le contrôle de son véhicule lancé à toute vitesse et dans un assourdissant horrible fracas de tôles broyées, le charroi vint littéralement pulvériser la petite voiture vert pomme et ses deux occupants.
Cette année-là encore, le Père Noël avait fait son possible pour tenter d'exhausser les vœux des enfants…
FIN
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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 469
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Commentaires :
pseudo : lola
bravo!
pseudo : VIVAL33
Moi, je ne crois plus au père-noël, et pour cause!!! ;-D
pseudo : BAMBE
Voilà ce que c'est que de confier son bonheur à des étrangers!!! CDCoeur
pseudo : july
bravo!
pseudo : Floriane
Faut-il vraiment te dire que j'ai adoré ?
pseudo : alnialm
quelle ordure ce Père Noël !
pseudo : tehel
C'est exactement ce vieux film qui m'a inspiré au départ. J'en ris encore d'ailleurs. Merci à tou(te)s pour vos commentaires. Je vous suggère de rester sur le qui-vive, la prochaine va vous plaire, bien que j'en connaisse pas encore le titre, je vais vous entraîner plus profond encore dans le "noir" ...
pseudo : Karoloth
Superbe histoire, aussi drôle qu'inquiétante. Bien fait, ça t'apprendra à croire en n'importe quoi!
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